Le marché des engrais agricoles connaît des bouleversements majeurs depuis plusieurs années. Entre tensions géopolitiques, flambée des prix de l’énergie et préoccupations environnementales croissantes, le secteur fait face à de nombreux défis. Les agriculteurs s’interrogent légitimement sur l’évolution des prix à moyen terme. Quelles tendances se dessinent pour 2026 ? La hausse va-t-elle se poursuivre ou peut-on espérer une stabilisation ? Analysons les différents facteurs qui influenceront le marché dans les prochaines années.

Tendances du marché mondial des engrais agricoles 2024-2026

Le marché mondial des engrais agricoles devrait connaître une croissance modérée mais stable entre 2024 et 2026. Selon les projections, la demande globale augmenterait d’environ 2% par an sur cette période. Cette progression s’explique notamment par l’augmentation de la population mondiale et le besoin d’accroître les rendements agricoles.

Cependant, cette tendance générale masque des disparités importantes selon les régions et les types d’engrais. Les pays émergents comme l’Inde, le Brésil ou l’Indonésie devraient tirer la demande à la hausse. À l’inverse, la consommation pourrait stagner voire reculer dans certains pays développés, sous l’effet des politiques environnementales.

Côté offre, les capacités de production mondiales continuent de s’accroître, notamment pour les engrais azotés. De nouvelles usines sont en construction ou en projet dans des pays comme la Russie, l’Arabie Saoudite ou le Nigeria. Cette augmentation des capacités pourrait contribuer à détendre le marché à moyen terme.

Facteurs influençant les prix des engrais azotés

Impact des cours du gaz naturel sur le coût de production de l’urée

Le prix du gaz naturel reste le principal déterminant du coût de production de l’urée et des autres engrais azotés. Or, les cours du gaz connaissent une forte volatilité depuis 2021. Après avoir atteint des niveaux record fin 2022, ils se sont repliés mais restent élevés par rapport aux moyennes historiques.

Les analystes s’attendent à ce que les prix du gaz naturel demeurent soutenus dans les prochaines années, sous l’effet de plusieurs facteurs : tensions géopolitiques persistantes, demande croissante pour la production d’électricité, investissements limités dans de nouvelles capacités d’extraction. Cette situation devrait maintenir une pression à la hausse sur les coûts de production de l’urée.

Évolution de la demande en chine et en inde

La Chine et l’Inde, premiers consommateurs mondiaux d’engrais, jouent un rôle clé dans l’équilibre du marché. Or, ces deux pays connaissent des évolutions contrastées. En Chine, la demande pourrait stagner voire légèrement reculer sous l’effet des politiques de réduction de l’utilisation d’engrais. À l’inverse, l’Inde devrait continuer à accroître sa consommation pour soutenir sa production agricole.

Les importations indiennes d’urée pourraient ainsi augmenter de 5 à 10% par an d’ici 2026. Cette hausse de la demande indienne sera déterminante pour l’équilibre global du marché des engrais azotés.

Réglementation environnementale et quotas d’émissions

Les réglementations environnementales de plus en plus strictes pèsent sur la production d’engrais, en particulier dans l’Union européenne. La mise en place de quotas d’émissions et de taxes carbone renchérit les coûts de production. Certaines usines européennes ont même dû réduire temporairement leur activité en 2022-2023 face à la flambée des prix de l’énergie.

Cette pression réglementaire devrait se maintenir voire s’accentuer dans les prochaines années. L’Union européenne prévoit notamment d’inclure pleinement le secteur des engrais dans son système d’échange de quotas d’émissions à partir de 2026. Ces contraintes pourraient fragiliser la compétitivité des producteurs européens face à leurs concurrents internationaux.

Capacités de production des principaux pays exportateurs

Les capacités de production des grands pays exportateurs d’engrais azotés comme la Russie, la Chine ou les pays du Golfe continueront de s’accroître d’ici 2026. De nouvelles usines géantes entreront en service, comme le complexe d’Eurochem à Kingisepp en Russie (capacité de 1,1 million de tonnes d’urée par an). Ces investissements devraient contribuer à détendre progressivement le marché.

Cependant, des incertitudes subsistent sur la capacité de ces pays à exporter leurs surplus de production. Les tensions géopolitiques et les sanctions économiques pourraient entraver les flux commerciaux, comme on l’a vu avec la Russie et le Bélarus depuis 2022.

Perspectives pour les engrais phosphatés et potassiques

Dynamique du marché du DAP et du MAP

Le marché des engrais phosphatés comme le DAP (phosphate diammonique) et le MAP (phosphate monoammonique) devrait rester tendu à court terme. La demande mondiale continue de progresser, tirée par les pays émergents, tandis que l’offre peine à suivre. Les capacités de production sont en effet très concentrées dans quelques pays comme la Chine, le Maroc ou les États-Unis.

Les prix du DAP et du MAP devraient ainsi se maintenir à des niveaux élevés en 2024-2025, avant de connaître une possible détente en 2026. L’entrée en production de nouvelles mines, notamment au Maroc et en Arabie Saoudite, pourrait en effet contribuer à rééquilibrer le marché.

Projections pour le chlorure de potassium (KCl)

Le marché du chlorure de potassium (KCl) a connu de fortes turbulences depuis 2022, suite aux sanctions contre le Bélarus et la Russie qui ont perturbé les approvisionnements mondiaux. La situation devrait progressivement se normaliser d’ici 2026, avec la montée en puissance de nouveaux projets miniers au Canada et en Russie.

Les analystes tablent sur une stabilisation des prix du KCl autour de 350-400 dollars la tonne en 2026, contre des pics à plus de 800 dollars atteints en 2022. Cette détente progressive soulagera les agriculteurs, pour qui la potasse représente un poste de dépense important.

Influence des politiques agricoles sur la consommation

Les politiques agricoles jouent un rôle majeur dans l’évolution de la consommation d’engrais. Dans l’Union européenne, la nouvelle PAC 2023-2027 et le Pacte vert encouragent une réduction de l’utilisation des intrants chimiques. L’objectif est de diminuer de 20% la consommation d’engrais d’ici 2030.

À l’inverse, de nombreux pays émergents comme l’Inde ou le Brésil maintiennent des politiques de subvention des engrais pour soutenir leur production agricole. Ces orientations divergentes influenceront la répartition géographique de la demande dans les prochaines années.

Innovations technologiques et nouveaux produits

Engrais à libération contrôlée et inhibiteurs d’uréase

Face aux enjeux environnementaux, l’industrie des engrais investit massivement dans le développement de produits plus efficaces et moins polluants. Les engrais à libération contrôlée, qui diffusent progressivement les nutriments dans le sol, connaissent une croissance rapide. Leur part de marché pourrait atteindre 15% en 2026 contre moins de 10% aujourd’hui.

Les inhibiteurs d’uréase, qui limitent les pertes d’azote par volatilisation, se généralisent également. Ces innovations permettent d’optimiser l’utilisation des engrais et de réduire les doses appliquées, ce qui pourrait à terme peser sur la demande globale.

Biostimulants et solutions alternatives aux engrais minéraux

Le marché des biostimulants et des fertilisants organiques connaît un essor rapide, porté par la demande croissante en produits naturels. Ces solutions alternatives aux engrais minéraux de synthèse devraient représenter un marché de plus de 4 milliards de dollars en 2026.

Si leur part reste encore modeste, ces produits gagnent du terrain notamment dans les cultures à haute valeur ajoutée. Leur développement pourrait contribuer à terme à réduire la dépendance aux engrais conventionnels.

Digitalisation et agriculture de précision

Les outils d’agriculture de précision se démocratisent rapidement, permettant une gestion plus fine de la fertilisation. Capteurs, drones, imagerie satellite : ces technologies permettent d’adapter les apports aux besoins réels des cultures, parcelle par parcelle voire plante par plante.

Cette optimisation pourrait entraîner une baisse de 10 à 15% des quantités d’engrais utilisées à l’horizon 2026-2030, selon certaines estimations. Un impact non négligeable sur la demande globale, même si le déploiement de ces solutions reste encore limité dans de nombreuses régions du monde.

Impact des accords commerciaux et des tensions géopolitiques

Conséquences du conflit Russie-Ukraine sur l’approvisionnement

Le conflit entre la Russie et l’Ukraine a fortement perturbé le marché mondial des engrais depuis 2022. La Russie, premier exportateur mondial d’engrais azotés et troisième pour les phosphates, a vu ses exportations entravées par les sanctions occidentales. Cette situation a entraîné des pénuries et une flambée des prix sur le marché international.

Si la situation s’est partiellement normalisée, des incertitudes persistent sur la capacité d’exportation à long terme de la Russie. Le pays cherche à réorienter ses flux vers de nouveaux marchés comme l’Inde ou le Brésil. L’évolution de ce conflit restera un facteur clé pour l’équilibre du marché d’ici 2026.

Évolution des droits de douane et des quotas d’importation

Les politiques commerciales des grands pays importateurs auront un impact majeur sur les flux d’engrais. L’Inde, par exemple, a assoupli ses quotas d’importation d’urée en 2023 pour sécuriser ses approvisionnements. À l’inverse, la Chine maintient des restrictions à l’exportation pour garantir la disponibilité sur son marché intérieur.

L’évolution de ces barrières tarifaires et non-tarifaires sera déterminante pour la fluidité du commerce international des engrais. Une libéralisation progressive pourrait contribuer à détendre le marché, tandis que de nouvelles restrictions accentueraient les tensions sur l’offre.

Rôle de l’OMC dans la régulation du commerce des engrais

L’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) joue un rôle important dans la régulation du commerce international des engrais. Elle veille notamment à limiter les pratiques déloyales comme le dumping ou les subventions excessives. Plusieurs différends commerciaux concernant les engrais ont été portés devant l’OMC ces dernières années.

Le renforcement des règles multilatérales pourrait contribuer à stabiliser le marché à moyen terme. Cependant, les blocages persistants au sein de l’OMC limitent sa capacité d’action. Le développement d’accords commerciaux bilatéraux ou régionaux pourrait prendre le relais pour encadrer les échanges d’engrais.

Stratégies d’adaptation des agriculteurs face à la volatilité des prix

Optimisation des plans de fertilisation et fractionnement des apports

Face à la hausse des prix, les agriculteurs cherchent à optimiser leur utilisation d’engrais. Le fractionnement des apports, qui consiste à multiplier les passages pour mieux cibler les besoins des cultures, se généralise. Cette pratique permet de réduire les doses totales appliquées de 10 à 15% sans perte de rendement.

L’analyse des sols et le recours à des outils d’aide à la décision se développent également. Ces approches permettent d’ajuster finement les apports aux besoins réels des plantes et aux reliquats présents dans le sol. À terme, ces pratiques pourraient entraîner une baisse structurelle de la demande en engrais.

Développement des achats groupés et contrats à terme

Pour faire face à la volatilité des prix, de plus en plus d’agriculteurs se regroupent pour négocier des achats en gros directement auprès des fabricants ou des importateurs. Ces achats groupés permettent d’obtenir des tarifs plus avantageux et de sécuriser les approvisionnements.

Le recours aux contrats à terme se développe également, permettant de fixer à l’avance le prix d’achat des engrais. Cette pratique, courante pour la vente des récoltes, gagne du terrain côté intrants. Elle offre une meilleure visibilité aux agriculteurs sur leurs coûts de production.

Diversification des sources d’approvisionnement

Les agriculteurs cherchent à diversifier leurs sources d’approvisionnement pour réduire leur dépendance à un fournisseur unique. Le recours à des engrais organiques comme les effluents d’élevage ou le compost se développe, en complément des engrais minéraux. Ces pratiques permettent de réduire les achats d’engrais de synthèse tout en améliorant la qualité des sols.

L’utilisation de légumineuses dans les rotations, capables de fixer l’azote atmosphérique, connaît également un regain d’intérêt. Ces cultures permettent de réduire les besoins en engrais azotés pour les cultures suivantes. À plus long terme, le développement de l’économie circulaire et la valorisation des déchets organiques pourraient offrir de nouvelles sources de nutriments pour l’agriculture.